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Mes Nouvelles

GROS CHAT (21) : MATIN...

4 Juillet 2014 , Rédigé par Denise Giton-Gonzalez



Épatant. Une journée éclaboussante d'été. Sur mon mur je m'étale. Les herbes sont hautes alentour et le cerisier ploie de branches qui dansent. Je me conditionne à l'air qui passe. Heureux.


Dans les jardins on s'agite. Le Colonel passe en revue ses sillons de tomates droites et palissées. Il aime l'ordre et chacun dans son rang. Il passe dès Potron Minet ses troupes en revue. Rien ne dépasse, forcément. Ordre et discipline. Les feuilles qui prennent leur aise, qui grimpent ou se faufilent, su à l'ennemi. Il ratiboise, prend l'armée verte à revers et la coupe net. Cadavres de chlorophylle jonchent les allées et le soir, visage durci de soleil, il contemple le fruit de ses batailles. Héros plein de griffes et d'échardes. La paix a un prix et les pansements Urgo disent l'ardeur glorieuse des assauts.


Finalement, c'est un Homme plein d'honneur et de lignes droites. Il prend soin du jardin comme de lui même. Même ses outils ont plus de tenue dans son appentis qu'ils n'en ont eue lors de leur première vie dans un magasin. S'ils aimaient le désordre et la poussière, ces outils là doivent sombrer dans la déprime. Héros malgré eux d'une drôle d'histoire. Victimes collatérales d'un temps de paix.


Évidemment, chez Tante Noémie, un laisser-aller artistique. Chacun vit, se sème et se plante absolument comme il veut. C'est un jardin libre plein de bon sens : les variétés se mêlent et foisonnent au regard, parfument à n'en plus finir. Les peintres les plus renommés n'ont pas pris le thé sous la tonnelle. Il leur manque donc à tous leur dernier tableau, un chef d'œuvre absolu. Parce que sur leur toile, ils auraient fait revivre l'arrosoir près des sabots poussés sous les œillets mignardise, les fleurs de soleil qui dansent sur la nappe et jouent à attraper l'ombre entre les tasses de thé. Les couleurs chantent et s'amusent, frivoles et disparaissent. Noémie lit son jardin de son regard de peintre. Murmures et vibrations. C'est beau à en pleurer tellement c'est vrai.


Noémie s'assied souvent sur le coussin tricoté de laines de toutes les couleurs belles comme des sorbets de glace. Elle fait silence pour laisser respirer et vivre son espace. Elle le contemple et s'enivre d'un bonheur plein et dense. Elle y fredonne et s'amuse à y être si heureuse. Le simple ici a toute sa place. Et il lui semble comprendre que c'est là l'essentiel de la vie. Son essence peut-être. Ou son sens. Malgré tout.


Chez Prosper on s'agite aussi en cuisine. Près des torchons de lin à la belle rayure rouge, les fruits et légumes cueillis du matin gorgés de couleurs, d'arômes et de sève couvrent la longue table de bois. Ils vont éclater si gorgés d'eux-mêmes. La rosée pleure, voyage et s'écoule jusqu'à mourir sur le bois, larmes inutiles et perdues. C'est une nature vivante pour peintre. Et le Chat Philosophe et quelques copains observent l'incessant ballet rythmé de quotidien, de gestes qui ont toute leur place dans l'utile, dans le beau, dans le rare oublié. Noémie va venir aider pour les confitures. Ici, on offre son temps et ça paraît très naturel. Si transaction il y a, c'est celle d'un sourire et le moment partagé.


Elle a apporté de lourds abricots qui faisaient souffrir l'arbre, un enfantement de fruits qui ont pris tout du soleil et nourris de la terre. Les gens d'ici ont gardé le respect de ce qui se passe autour d'eux, de ce que la nature leur prodigue de si abondante et jolie manière. C'est un hymne à la vie. Pas de désespoir. Juste les saisons qui passent avec justice sur tout le monde.


J'ai observé les mains de Noémie. Elles disent toute son histoire et même celle de sa famille. Des mains honnêtes et rudes. Belles de ce qu'elles ont vécu. Et là, elles saisissent les fruits et les font pleurer de sucre. Et on sort la bassine de cuivre pour le labeur mousseux et chaud qui va parfumer toute la cuisine.

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